Réflexions sur la solidarité

Une notion ancienne

Le mot solidarité est intéressant. Fondé sur le latin sŏlĭdus, qui rend des idées de dense, solide, massif, entier, complet, il exprime l’idée de responsabilité partagée. La solidarité est voisine de l’entraide, qui est une composante essentielle de la survie des espèces animales, comme le souligne bien Pierre Kropotkine dans un livre passionnant de 1906 L’Entraide, un facteur de l’évolution1.

Pour les humains, il s’agit souvent de solidarité contre un danger perçu comme menaçant une communauté (qu’il s’agisse de la famille, d’une corporation ou d’un collectif électif fondé sur des valeurs communes) et limitée à celle-ci. La solidarité est une vertu et c’est aussi une nécessité dans les environnements où il n’est pas possible de subsister seul. On la trouve notamment développée chez les marins, en montagne, dans tout environnement hostile.

La vallée du Derbous (ou de la Derboux, comme on disait autrefois) n’est pas un endroit extrême ; mais il est isolé. Les premières manifestations de solidarité (outre la défense contre les invasions) a probablement été l’irrigation des terres, obligeant les paysans à s’entendre pour partager l’eau issue des rivières, qui circule ensuite dans des canaux construits par les humains.

Cela n’allait pas de soi, des réglementations furent édictées, mais certaines personnes ne respectaient pas les règles de répartition. Andrée Bouvard, dans son étude de 1946 sur le bassin du Buis note ainsi :

« L’importance de l’irrigation était si grande que, de bonne heure, on la vit être l’objet d’une véritable organisation. En 1596, sur les 24 membres de son « conseil général », la communauté du Buis compte 4 « prayers ou pradiers » : 2 pour l’arrosage au quartier de la Vierge, 2 autres pour l’arrosage au quartier du Maulgrach » (p. 148).

En effet, il fallait bien faire respecter les règlements pris en commun. Parmi les différents cours d’eau de la région, la Derboux était spéciale, car l’eau y était en abondance :

« Assurément, bien des champs ne pouvaient encore recevoir de l’eau que par les « influences du ciel », mais beaucoup d’autres devaient à l’irrigation toute la richesse de leur révolte. Cependant, partout, les paysans cherchaient à jeter le discrédit sur leur conquête. L’eau des rivières, paraît-il, ne se trouvait que rarement avoir les qualités désirables. La Derboux seule était « très avantageuse » parce que provenant d’une fontaine (la Fontaine des Gastaud) » (p. 149).

Et maintenant ?

En 2024, l’eau est toujours aussi essentielle ; mais les problèmes et les besoins de la société moderne ne sont plus les mêmes. Les canaux gardent toujours un rôle majeur car ils absorbent la majeure partie des eaux de pluie et limitent les inondations, contrairement aux tuyaux en plastique enterrés.

L’agriculture s’est concentrée autour de grandes exploitations, elle s’est « industrialisée », avec le recours massif à des machines sophistiquées (comme celles qui permettent de trier automatiquement les fruits par calibre). On dépend un peu moins des cours d’eau quand on peut pomper dans la nappe phréatique. L’irrigation nécessite moins de coordination et d’entraide qu’auparavant. En revanche, les problématiques de traitement des eaux usées se sont développées. 

La population a évolué : le pays est devenu attracteur pour les touristes, avec un développement de solutions de locations de courte durée, surtout dans la période estivale, la multiplication de résidences secondaires et l’arrivée de « néo-ruraux ». Ces derniers ne sont pas considérés comme des pièces rapportées, mais bien acceptés quand ils veulent s’intégrer. 

Solidarité et entraide existent encore entre personnes dans la vallée, surtout lorsque des dangers apparaissent, qu’il est nécessaire de conjurer. Il convient de rester optimiste.

Références

Bouvard, A. (1946). Le Bassin du Buis-les-Baronnies (Etude de géographie humaine). Revue de géographie alpine34(2), 103‑169. https://doi.org/10.3406/rga.1946.5212

1L’Entraide, un facteur de l’évolution – kroptkine1906.pdf