Réflexions sur la solidarité

Une notion ancienne

Le mot solidarité est intéressant. Fondé sur le latin sŏlĭdus, qui rend des idées de dense, solide, massif, entier, complet, il exprime l’idée de responsabilité partagée. La solidarité est voisine de l’entraide, qui est une composante essentielle de la survie des espèces animales, comme le souligne bien Pierre Kropotkine dans un livre passionnant de 1906 L’Entraide, un facteur de l’évolution1.

Pour les humains, il s’agit souvent de solidarité contre un danger perçu comme menaçant une communauté (qu’il s’agisse de la famille, d’une corporation ou d’un collectif électif fondé sur des valeurs communes) et limitée à celle-ci. La solidarité est une vertu et c’est aussi une nécessité dans les environnements où il n’est pas possible de subsister seul. On la trouve notamment développée chez les marins, en montagne, dans tout environnement hostile.

La vallée du Derbous (ou de la Derboux, comme on disait autrefois) n’est pas un endroit extrême ; mais il est isolé. Les premières manifestations de solidarité (outre la défense contre les invasions) a probablement été l’irrigation des terres, obligeant les paysans à s’entendre pour partager l’eau issue des rivières, qui circule ensuite dans des canaux construits par les humains.

Cela n’allait pas de soi, des réglementations furent édictées, mais certaines personnes ne respectaient pas les règles de répartition. Andrée Bouvard, dans son étude de 1946 sur le bassin du Buis note ainsi :

« L’importance de l’irrigation était si grande que, de bonne heure, on la vit être l’objet d’une véritable organisation. En 1596, sur les 24 membres de son « conseil général », la communauté du Buis compte 4 « prayers ou pradiers » : 2 pour l’arrosage au quartier de la Vierge, 2 autres pour l’arrosage au quartier du Maulgrach » (p. 148).

En effet, il fallait bien faire respecter les règlements pris en commun. Parmi les différents cours d’eau de la région, la Derboux était spéciale, car l’eau y était en abondance :

« Assurément, bien des champs ne pouvaient encore recevoir de l’eau que par les « influences du ciel », mais beaucoup d’autres devaient à l’irrigation toute la richesse de leur révolte. Cependant, partout, les paysans cherchaient à jeter le discrédit sur leur conquête. L’eau des rivières, paraît-il, ne se trouvait que rarement avoir les qualités désirables. La Derboux seule était « très avantageuse » parce que provenant d’une fontaine (la Fontaine des Gastaud) » (p. 149).

Et maintenant ?

En 2024, l’eau est toujours aussi essentielle ; mais les problèmes et les besoins de la société moderne ne sont plus les mêmes. Les canaux gardent toujours un rôle majeur car ils absorbent la majeure partie des eaux de pluie et limitent les inondations, contrairement aux tuyaux en plastique enterrés.

L’agriculture s’est concentrée autour de grandes exploitations, elle s’est « industrialisée », avec le recours massif à des machines sophistiquées (comme celles qui permettent de trier automatiquement les fruits par calibre). On dépend un peu moins des cours d’eau quand on peut pomper dans la nappe phréatique. L’irrigation nécessite moins de coordination et d’entraide qu’auparavant. En revanche, les problématiques de traitement des eaux usées se sont développées. 

La population a évolué : le pays est devenu attracteur pour les touristes, avec un développement de solutions de locations de courte durée, surtout dans la période estivale, la multiplication de résidences secondaires et l’arrivée de « néo-ruraux ». Ces derniers ne sont pas considérés comme des pièces rapportées, mais bien acceptés quand ils veulent s’intégrer. 

Solidarité et entraide existent encore entre personnes dans la vallée, surtout lorsque des dangers apparaissent, qu’il est nécessaire de conjurer. Il convient de rester optimiste.

Références

Bouvard, A. (1946). Le Bassin du Buis-les-Baronnies (Etude de géographie humaine). Revue de géographie alpine34(2), 103‑169. https://doi.org/10.3406/rga.1946.5212

1L’Entraide, un facteur de l’évolution – kroptkine1906.pdf

La santé, dans la vallée…

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Montagne et forêts alentour, bonne qualité de l’air (du moins relativement à la ville), températures clémentes dans la vallée (sauf en hiver, où cela pique parfois), tranquillité. Vie proche de la nature. Mais l’être humain doit partout gérer des problématiques de santé. Ne serait-ce que parce que le temps use, sans parler des épidémies et des pandémies diverses qui se répandent périodiquement. Cela amène, dans ce pays isolé, à faire appel à des ressources et des infrastructures qui sont relativement distantes. Il est en pratique indispensable d’utiliser un véhicule automobile.

Les services médicaux sont au chef lieu de canton, Buis Les Baronnies, à quelques kilomètres, depuis longtemps. Autrefois, il y avait un médecin (le docteur Bernard), qui se déplaçait dans le canton et une (puis deux) pharmacies. L’hôpital local, maintenant devenu essentiellement un EHPAD, avait un service de maternité et un service médical. On a aussi eu au Buis dans les années 1980 un laboratoire d’analyses médicales, des dentistes, des kinésithérapeutes…

Pour les accidents ou les affections de santé graves nécessitant le secours de spécialistes, il fallait une clinique ou un hôpital avec un plateau technique plus sophistiqué. On devait aller, selon la gravité, à Vaison-la-Romaine (environ 25 km), à Carpentras (une quarantaine de km), voire à Avignon (70 km) et même Marseille quand c’était vraiment grave.

Par exemple, quand Paul a eu un accident vasculaire cérébral, dans les années 1960, il a dû faire un assez long séjour à l’hôpital de la Timone à Marseille. Sa femme y est descendue, se logeant comme elle pouvait le temps des soins. Quand Maurice a eu une hernie inguinale, il s’est fait opérer à Carpentras, où il n’est resté qu’un jour ou deux avant de revenir. L’opération de la cataracte de Marie a eu lieu à Vaison. Mais quand Yves a eu un problème oculaire, il a dû se faire accompagner à Avignon pour un traitement spécialisé. Bref, il y avait (et il y a toujours) du chemin à faire pour consulter un spécialiste.

Au cours du temps, la population s’est renouvelée. De nouveaux médecins sont venus. Une maison médicale a été créée au Buis ; elle rassemble, en 2024, cinq généralistes, 6 infirmières, des kinésithérapeutes, 2 ostéopathes, une psychologue, une diététicienne, une sage-femme,… Il y a aussi des cabinets de médecine douce en ville.

Heureusement, les services d’urgence fonctionnent et il y a des véhicules de transport sanitaire. Pour les cas graves, le centre de secours de Buis les Baronnies déclenchait autrefois la sirène en cas de besoin d’intervention des pompiers volontaires. Maintenant, les téléphones cellulaires et internet ont renouvelé la manière d’intervenir. Dans les cas extrêmes, un hélicoptère arrive . Il secourt les alpinistes en difficulté au rocher du Saint Julien et peut se poser au centre de secours du Buis. Mais c’est exceptionnel.

L’hôpital local est en cours de rénovation, mais il est douteux qu’y rouvre de sitôt un service de médecine. La pharmacie des Tilleuls est bien achalandée, le personnel y est obligeant et on y trouve de bons conseils.

Bref, dans la vallée du Derbous, comme ailleurs, la maladie est sans cesse aux aguets. Mais les services de santé locaux gèrent, en dessous d’un certain seuil de gravité.

2024, année olympique dans la vallée du Derbous

Les années se suivent et se ressemblent plus ou moins. Dans le vaste monde, les guerres se poursuivent, hélas, avec leurs funestes conséquences, notamment en termes de victimes innocentes. Les jeux olympiques de Paris ont particulièrement focalisé l’attention en juillet. Ils ont probablement occupé les écrans de télévision aussi dans la vallée du Derbous.

Qu’y a-t-il eu de significatif dans la vallée depuis l’année passée ? Voici quelques grandes lignes qui n’ont pour ambition que de faire le point sur un terroir rural de basse montagne très enclavé et tranquille, loin des grandes villes.

Le pays a toujours été un peu rebelle. Les gens n’ont pas la langue dans leur poche et ont des convictions bien arrêtées. L’année a vu des campagnes électorales dont on ne peut pas dire qu’elles ont été marquées par la modération. Deux circonscriptions de la Drôme sont allées au nouveau front populaire et deux au rassemblement national lors des législatives.

La nature n’est évidemment pas indifférente aux orientations politiques du moment, mais elle change sur des temps longs, marquée et souvent meurtrie par des décisions humaines.

Cette année, la vallée du Derbous a été bien arrosée. Les niveaux d’eau dans la rivière et dans les canaux d’alimentation des moulins sont convenables en juillet, ce qui est dû à la météorologie et à des décisions raisonnables de gestion de la ressource en eau.

Mais il y a eu quelques changements : les orages, phénomènes fréquents mais particulièrement marqués ce printemps, ont emporté les barrages édifiés par les castors, qui ont déménagé, allant sans doute s’établir en aval.

Autour des maisons on voit occasionnellement des chevreuils, des biches, des hardes de sangliers. Et les loups sont toujours là, on en a repéré une meute dans la montagne, il y a eu des animaux dévorés tout près des maisons.

En été, les touristes sont revenus, comme chaque année. Le covid aussi, mais beaucoup considèrent que ce n’est désormais plus qu’une sorte de grippe. Pourtant, si la vaccination a pour effet principal de limiter la gravité des symptômes chez les personnes atteintes, ces dernières peuvent malgré tout tomber malades et être des porteuses redoutables pour d’autres, qui ont des désordres du système immunitaire. Le principe de précaution (si on peut dire) invite donc à protéger les autres. Mais on ne voit qu’exceptionnellement des gens avec des masques. Qu’y faire ?

Dans la vallée, l’eau ne manque pour l’instant pas, l’agriculture est désormais regroupée en grandes exploitations, la vie sauvage suit son cours. la vallée reste apparemment calme, jusqu’à preuve du contraire.

Plaisians : échos d’une fête mémorable en 2024

Le pistou, l’agneau et le condor

Plaisians est une commune des Baronnies de très antique établissement. Un de ses fils (Guillaume de Plaisians), légiste de Philippe Le Bel, a vu son nom distingué par l’histoire lors des conflits de ce roi avec le pape et les templiers au début du XIVe siècle qui ont notamment conduit à l’installation de la papauté à Avignon pendant 70 ans.

Actuellement, c’est une commune rurale d’environ 200 habitants, classée à « habitat dispersé ». Le lieu est célèbre notamment par sa fameuse Clue, impressionnant passage entre deux falaises donnant accès à au plus un véhicule à la fois (http://www.plaisians.com/notre-album-photo/). Le cours d’eau qui y passe rejoint un peu plus loin les cours d’eau qui descendent dans la vallée d’Eygaliers et constituent le Derbous.

Chaque année, le dernier dimanche de juillet, une grande fête des traditions provençales y a lieu, avec (entre autres) démonstration de chiens de troupeau, concours d’aïoli, animations pour enfants et, clou de la journée, soupe au pistou et concert le soir.

Cette soirée a été impressionnante : de l’ordre de 600 personnes, de tout âge, pour qui avaient été préparées et servies (par des volontaires) des portions gargantuesque de soupe au pistou, de succulentes côtes d’agneau des Baronnies, de la tome de chèvre et une tarte à l’abricot. Le tout avec vin, bière et eau minérales pour les abstèmes.t

Dans ce cadre grandiose (partout la nature et la montagne), un orchestre, le Condor, a animé magistralement la soirée.

l s’agit d’un ensemble très original emmené par Jean-François Gerold, rassemblant une dizaine de musiciens ce soir là, qui va bientôt fêter ses 25 ans, pratiquant une sorte de fusion entre la musique provençale et la musique celtique, avec aussi l’intervention de guitares, de flutes à bec et traversière et d’une batterie (https://www.facebook.com/JFGmusique/?locale=fr_FR).

Concernant la musique provençale, une partie des musiciens jouent souvent comme tambourinaires, utilisant des « galoubets-tambourins » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Galoubet). Cet instrument traditionnel, souvent confondu avec le fifre, est double : il comporte une flute à bec à la sonorité aiguë qu’on joue de trois doigts de la main gauche tout en actionnant de l’autre main un tambourin). Côté celtique, ils utilisent des cornemuses, et on note la présence d’une bombarde, à moins qu’il ne s’agisse d’un hautbois catalan.

L’ensemble est très original, subtil dans la fusion des différentes influences, dansant (certains morceaux comportaient des danseurs, pour d’autres c’est le public qui dansait).

Les assistants à l’évènement étaient, outre les organisateurs bénévoles, des personnes vivant à proximité (en particulier à Buis les Baronnies) et, bien entendu, des touristes.

Ainsi, ce lieu ordinairement peu peuplé, s’est animé et a vibré dans la nuit étoilée. Performance mémorable, dont la prochaine manifestation sera en 2025.

Une nouvelle année dans la vallée du Derbous : 2023

Un canal d’arrivée plein d’eau courante


Ces dernières années ont été riches en évènements préoccupants comme la pandémie de COVID (dont on semble enfin en passe de tourner la page), la guerre en Ukraine (dont on ne voit pas encore comment elle va durer et quelles seront ses répercussions), des réformes imposées (telle la réforme des retraites). Tout ceci sur fond d’inquiétude climatique crédible (réchauffement, canicule…).

La vallée du Derbous n’est pas sur une autre planète. Elle est sujette aux mêmes problèmes que les autres lieux. Mais elle est loin des centres de décision, a une population clairsemée encore proche de la nature et les échos du monde y parviennent un peu assourdis.

Cette année, le printemps a été pluvieux et, contrairement à ce qui se passe dans d’autres régions, la nappe phréatique semble bien se porter si on en juge par le débit de la rivière. Mais cette impression peut être trompeuse, car le débit de cette rivière fluctue sans que les causes de modification de débit soient connues.

Les décisions des humains ont des effets à long terme. Un exemple local est celui des truites. Autrefois, il y en avait une relative abondance, d’une espèce endémique bien adaptée au milieu, appelée ici fario.

Il y a quelques décennies, suite à une baisse des prises, il a été décidé d’introduire une espèce jusqu’ici inconnue dans la vallée : la truite arc-en-ciel, joli poisson vorace.

Mais il a fallu admettre que, ces truites ne se reproduisant pas bien dans les conditions environnementales qui sont les nôtres, cette pratique était à proscrire. Actuellement, il y a un déficit de truites dans le Derbous.

Comment inverser la tendance ? On peut espérer que, si la pêche reste modeste, si l’on n’introduit plus de farios et si le nombre de prédateurs (hérons…) décroît (ce qui semble être le cas), la faune se régénère. Il convient d’être optimistes et patients.

Il serait en tout cas bon d’en revenir, si c’est encore possible, à des situations de régulation locales traditionnelles. On sait, en particulier depuis les travaux de la lauréate du prix Nobel d’économie 2008 Elinor Ostrom (tout particulièrement pour la gestion de l’eau), qu’elles sont plus efficaces que les solutions visant l’optimisation à court terme imposées par des experts ne prenant pas toujours en compte l’ensemble du système.

Il est vrai que ces solutions durables nécessitent que fonctionnent des communautés collectivement intéressées à la bonne gestion de la ressource et connaissant bien le milieu pour y avoir grandi et avoir recueilli l’expérience et les savoir-faire de ceux qui les ont précédées.

Dans la vallée du Derbous, comme ailleurs, la communauté paysanne qui autrefois prenait soin de l’irrigation des cultures n’existe presque plus. Certes, il y a encore des producteurs mais ils sont pour la plupart quasi industrialisés, gérant de grands domaines, les seuls économiquement viables désormais en suivant des méthodes « rationnelles » prônées notamment par les institutions européennes.

Il existe cependant des raisons d’espérer : le bio a bonne presse, il constitue un marché et il séduit certains, d’autant que la population, en particulier l’été, est sensible à cet argument. Une de ses dimensions est celle de la gestion raisonnée de l’eau.

Il serait naïf de penser que les tendances à l’œuvre depuis des décennies vont s’inverser brusquement. Mais il est souhaitable d’espérer.

Références

Ostrom, E., & Basurto, X. (2013). Façonner des outils d’analyse pour étudier le changement institutionnel. Revue de la régulation. Capitalisme, institutions, pouvoirs14http://regulation.revues.org/10437

Pluie et beau temps dans la vallée au temps du COVID…

L’année 2021 restera sans doute associée dans les mémoires, comme l’année précédente, aux vagues successives de la pandémie de COVID 19, aux mesures sanitaires et restrictions de liberté qui les ont accompagnées (couvre-feu, interdiction de voyager au-delà de 10km, port du masque…), mais aussi développement rapide de vaccins fondés sur de nouvelles techniques de génie génétique et espoirs, malheureusement éphémères, de sortie rapide de la crise. La situation, cependant, a été assez différente en ville et à la campagne.


Dans la vallée du Derbous, lieu d’habitat peu dense aux maisons intégrées dans la nature, le cours de la vie en 2021 a été peu différent de ce qu’il est habituellement. Lors de leurs rencontres, par exemple au marché, les habitants ont parlé du COVID mais aussi de la pluie et du beau temps…


L’hiver a été maussade, mais sans froid excessif. Il a beaucoup plu en février, le mois de mars a été clément, mais le gel est venu en avril, compromettant certaines récoltes. Depuis, les températures habituelles sont revenues, la rivière a de l’eau. Tout est vert.

Des loups rôdent toujours, mais il n’y a pas eu cette année d’attaque de troupeau. Les castors, insensibles aux occupations humaines, ont poursuivi leur œuvre de constructeurs aux dépens des habitants.

Côté humain, les choses suivent leur cours. Les touristes sont même revenus, il y a toujours autant de gites ou chambres d’hôtes. Ils sont parfois peu attentifs à la vie rurale et à l’environnement, mais on ne peut trop leur en demander. La nature, de toutes les manières, continue à être relativement préservée. La circulation automobile est normale, toujours limitée à 80 km/h.

Un point d’attention peut cependant être relevé. Des menaces planent sur un des accomplissements humains les plus anciens et les plus utiles, qui a joué un rôle fondamental dans les sociétés humaines : la canalisation de l’eau, que ce soit pour l’irrigation des champs ou pour l’alimentation des nombreux moulins.
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Modeste canal

Outre les canaux qui faisaient tourner ces derniers , le pays est littéralement quadrillé de canaux autrefois entretenus par les paysans qui, moyennant des redevances modiques, avaient des droits d’irrigation par simple gravité faisant l’objet d’un consensus entre eux. Avec la conversion de propriétés agricoles en terrains à bâtir et l’apparition de pompes mécaniques, la situation a changé.

Les systèmes traditionnels sont en déshérence et l’on se demande quelles en seront les conséquences sur la régulation que peuvent exercer les humains sur leur environnement.

Bref, la vallée du Derbous, sans être préservée des malédictions coutumières frappant le monde, continue une existence détendue quoique légèrement inquiète relativement aux évolutions à venir.

Un demi-siècle dans la vallée du Derbous. Entretien avec une habitante de la vallée

La synthèse qui suit est liée à un entretien mené avec une interlocutrice implantée dans le Derbous depuis sa naissance. Elle y vit à l’année, dans une vieille maison héritée de ses ancêtres. Elle nous livre ici des réflexions sur ce qui a changé dans dans la vallée depuis un demi-siècle environ.

Réchauffement climatique et changement social

Indéniablement, bien des choses se sont passées. D’abord, les évènements liés aux saisons ont changé. Dans le passé, il y avait ainsi des évènements récurrents : des orages en mai, de la pluie à la Sainte Madeleine, en juillet, des orages pour la Saint Laurent, en août. Les hivers commençaient plus tôt. Il y avait ainsi, à Plaisians, des gelées blanches en octobre.

Par contraste, cette année 2020, il a gelé en décembre, en janvier, en avril, mais peu. En revanche, les printemps sont devenus beaucoup plus chauds, dès mars et il y a une tendance à la disparition des inter-saisons. Cela a impacté les cultures.

D’abord, quand les nuits sont chaudes, il y a moins de rosée. Ensuite, le système d’irrigation a beaucoup changé. Auparavant, il y avait un système d’irrigation sophistiqué, par gravité, avec un réseau de canaux où chaque paysan pouvait prélever, à certains moments, de l’eau : une gestion commune de la ressource.

Maintenant, on privilégie le goutte à goutte, en pompant dans les rivières, sur une base individuelle. Le nombre de cultivateurs a lourdement chuté depuis la seconde guerre mondiale et les propriétés se sont étendues et comme industrialisées. Pour autant le nombre d’habitants n’a pas diminué dans la vallée ; les habitants travaillent en ville, parfois très loin (après tout, avec le TGV, on peut être rapidement à Marseille et même à Paris). Certains font aussi du télétravail. Internet a beaucoup changé la situation. Si on n’a pas encore la fibre dans les habitations (pourtant elle a été installée le long des routes il y a quelques années), la connectivité 4G a progressé et les débits sont acceptables.

Par ailleurs, la circulation automobile a explosé : sur la route du col de Fontaube, on avait au plus deux voitures par jour et quelques rares camions de marchandise. Maintenant, on a des passages fréquents liés au développement du tourisme et à celui de la consommation.

Pour les habitants, posséder un véhicule automobile n’est pas une option : il le faut ne serait-ce que pour aller faire des courses alimentaires et aussi pour les soins médicaux (les médecins ne se déplacent plus) ou pour tout autre besoin lié à la santé (analyses, examens, soins dentaires, hôpitaux…). Le prochain bourg doté de magasins et de services à la personne (Buis les Baronnies) n’est pas commodément accessible à pied. Il n’y a d’ailleurs plus de laboratoire d’analyse médicale depuis quelques années.

On remarque un accroissement du nombre de touristes, comme le montre l’extension des gîtes ruraux et des chambres d’hôte, ainsi qu’un nombre croissant de vélos électriques, qui permettent maintenant à davantage de personnes d’accéder à des endroits autrefois isolés, ce qui n’est pas sans effet sur la nature.

Des changements notables dans la flore et la faune

Beaucoup de changements sont intervenus. Par exemple, si les oliviers restent bien implantés, on ne trouve pratiquement plus de vignes, autrefois abondantes. Elles ont été remplacées par des arbres fruitiers : cerisiers, abricotiers, pêchers…

S’agissant de faune, il n’y a presque plus de truites dans les cours d’eau. Autrefois, il y avait des truites communes, endémiques à la région. Des truites arc en ciel ont été introduites dans le passé, qui les ont contrariées et qui se reproduisent mal. La population a singulièrement diminué. On ne trouve plus d’écrevisses dans les rivières. Les lièvres et les perdrix ont pratiquement disparu, ce qui peut être lié à la prolifération des sangliers qui dévastent les cultures et détruisent les nids, voire les terriers.

En revanche, les castors ont pris beaucoup d’extension depuis les années 1980 . Ils font des trous dans les berges des cours d’eau et créent des marais (cf. article récent). On trouve aussi des rats d’eau, de la salamandre commune, voire des créatures comme le seps strié (Chalcides striatus), petit saurien ressemblant à un serpent avec des embryons de pattes avant.

Les loups, aussi, sont progressivement réapparus dans la région et on note également la présence d’oiseaux qu’on ne voyait pas avant, tels les « guêpiers », peut-être parce qu’ils sont réputés manger les guêpes,

Un ensemble sophistiqué de règlements et un avenir incertain

D’après notre interlocutrice, un changement important est celui de l’inflation de règlements. Si, dans le passé, on était devant une économie de subsistance avec des biens communs collectivement gérés par des personnes ancrées dans le terroir, qui se sentaient responsables du maintien du milieu, désormais, la plupart des initiatives sont encadrées par des règlements en tout genre, issus de différentes administrations (en particulier l’Europe), qui visent à encadrer strictement toutes les activités liées à la gestion du cadre de vie, sans pour autant réussir à assurer sa pérennité.

La vallée du Derbous au fil du confinement

L’année 2020 n’aura pas été comme les autres, c’est sûr ! Le confinement dans le monde rural au temps de la pandémie de Covid-19 n’a pas la même saveur qu’en ville : il y a de l’espace et on peut se déplacer mieux que dans un appartement.

Bien sûr, il faut aller en ville de temps en temps, ne serait-ce que pour se réapprovisionner. Mais la petite ville n’est pas comme la grande : on se connaît à peu près tous. Il y a eu jusqu’ici très peu de cas locaux de contamination. La situation n’est pas comme dans ces cités anonymes où l’on tend à se méfier des autres, vis-à-vis desquels on n’a pas de lien personnel.

En juillet, des touristes sont revenus et il y a eu une certaine animation dans les rues. Jusqu’au 20, date de l’obligation édictée de porter un masque dans les lieux publics fermés, l’ambiance était bon enfant dans les magasins. Ce sont surtout les personnes d’un certain âge qui portaient le masque, sauf dans les grands magasins qui étaient plus stricts. Tout ceci va bien évidemment changer rapidement, car l’amende pour défaut de port de masque est salée.

La nature, par ailleurs, est toujours là, indifférente à ces histoires de virus qui attaquent les humains. Dans la vallée, à peu près désertée par ces derniers, les animaux se sont enhardis, ils ont pris leur aise, empruntant les voies laissées libres, venant à l’occasion près des maisons.

Les sangliers, en particulier, viennent de temps en temps ravager les jardins, on en a même vu des hardes… Cela fait des années qu’ils représentent un problème, dont on ne voit pas très bien la fin : à chaque saison de chasse, des prélèvements sont organisés, cela limite les nuisances.

C’est pareil pour les loups. On dit qu’il y en aurait plusieurs meutes dans le Ventoux. Mais on les voit peu dans la vallée, tant qu’il y a des troupeaux de moutons dans la montagne.

Les castors, pour leur part, sont toujours la même calamité pour les propriétaires de canaux ou de berges de la rivière. Leur énergie constructive est débordante. Ils sont capables de modifier sensiblement l’environnement, abattant des arbres, déviant les eaux et créant des marais. Il n’est pas certain qu’ils sachent qu’ils sont protégés, mais ils ne craignent pas l’homme.

Ici photo de dégâts de castors

Un exemple de barrage, avec la retenue d’eau en amont

Enfin, des animaux plus sympathiques pour l’espèce humaine semblent bien se porter : on peut croiser des chevreuils et il y a même eu une réapparition constatée de la salamandre.

Une salamandre commune, près du canal d’un moulin

Une salamandre

Finalement, la vie de la nature se poursuit. L’espèce humaine y joue sa partition. Mais, si elle peut lancer de nouvelles dynamiques, ces dernières ne révèlent leurs effets que bien après et il est alors impossible de les modifier rapidement : les temps de la nature ne sont pas ceux des humains.

Comment dès lors réagir face aux problèmes écologiques, alors qu’on opère dans un contexte d’incertitude et, même, de controverses ?

Loin du Derbous, le confinement dans la grande ville…

Nul ne peut nier que la situation vécue en ce printemps 2020 a partout un caractère exceptionnel ! Pour les citadins confinés dans des appartements relativement exigus, loin de la verte nature, il peut y avoir un peu de regret de ne pas être confiné dans le cadre sublime de la Drôme provençale. Après tout, l’espace est un bien précieux et la montagne est si belle…

Ceci dit, inutile de fantasmer, le confinement s’impose à tous et toutes et le relâchement des règles de « distanciation sociale » promet de ne pas être immédiat. Et puis, en réfléchissant, les douceurs d’un printemps provençal ont aussi quelques contreparties moins agréables.

Sans vouloir établir de comparaison terme à terme, on va maintenant donner un témoignage sur une grande ville (un quartier de Paris intra-muros). 

Des choses ont clairement changé. D’abord, le tumulte quotidien s’est atténué et l’on peut entendre maintenant chanter quelques oiseaux, l’air est moins pollué que d’habitude. Quand on sort pour les courses ou pour l’indispensable oxygénation quotidienne des neurones, on risque beaucoup moins de se faire écraser… 

Chose non vue depuis longtemps, la nature s’affirme, comme le montre la photo ci-dessus d’un bord de trottoir.

Pour les courses, les magasins d’alimentation, supermarchés ou commerces de proximité se sont adaptés, mais les queues pour entrer sont plutôt dissuasives. Les clients attendent sagement afin de respecter les distances réglementaires. Il faut avoir des stratégies de choix de jours et d’heures selon les magasins. 

Tous les restaurants, ici comme ailleurs, sont fermés au public, mais un nombre non négligeable sert cependant maintenantà domicile. On note ainsi, ici et là des concentrations de jeunes coursiers à moto ou à vélo qui assurent des livraisons à domicile.

Les rues sont moins animées que d’habitude mais des autobus continuent à les sillonner ; quand ils passent, ils sont rarement pleins. De temps en temps, une ambulance ou une voiture de police passe. Il y a quelques contrôles par des escouades de policiers, dans les lieux fréquentés. 

Des piétons circulent aussi. Ils sont de plusieurs types. Certains, équipés de sacs ou de caddies, vont chercher ou ramènent chez eux les indispensables provisions. D’autres, en tenue de jogging, ont souvent le smartphone réglementaire au bras et s’oxygènent. Certains accompagnent de jeunes enfants en trottinette ou en petit vélo, ou alors promènent des chiens.

On se croise entre piétons assez facilement et, bel exemple de négociation implicite, quand deux personnes arrivent face à face sur le trottoir, l’une traverse, ou marche un moment sur la chaussée, il n’y a de toutes les manières pas grand risque à agir ainsi.

Enfin, on préférerait ne pas avoir besoin d’y aller, mais les hôpitaux sont proches, le SAMU peut vous y amener dans un temps raisonnable si le besoin se manifestait. 

En tout cas, à 20 heures, on entend dans les rues et les cours les applaudissements bien mérités adressés aux soignants ainsi que des concerts de klaxons. Les soignantes et soignants, en effet, sont désormais reconnus pour le rôle essentiel qui est le leur. la question cependant est de savoir quand les pouvoirs publics vont leur témoigner une reconnaissance qui ne soit pas principalement symbolique mais inscrite dans les émoluments et les conditions de travail.

En somme, aux temps étranges du confinement, la vie continue partout où elle peut. Elle est, pour tout le monde,simplement plus limitée dans les possibilités pratiques qu’elle offre et plus contraignante pour les individus qui se languissent désormais des réunions de famille ou d’amis, des apéros non virtuels et de la liberté de mouvement.

Il reste heureusement l’espoir ; comme disent les Grecs, c’est de toutes façons ce qui meurt en dernier. L’espoir en particulier que des leçons de solidarité soient tirées de cette funeste période.

La vallée du Derbous au temps du confinement

Mars 2020

Il est peu de dire que la vallée du Derbous est isolée.  C’est un lieu paisible hormis pendant les périodes de vacances qui attirent nombre de touristes. l n’y a pas de grande agglomération proche, la densité de population est faible. Cependant, cette qualité de vie exceptionnelle se mérite notamment par l’obligation pratique de prendre la voiture pour aller faire des courses ou aller consulter un médecin.

L’urgence sanitaire ordonnant le confinement des populations a eu des effets différents de ce qu’ils peuvent être en ville où les familles ont peu d’espace.

D’un côté, c’est le bon côté si l’on peut dire, il est facile de sortir de sa maison sans enfreindre les règlements, de flâner (ou plus souvent de travailler) pour entretenir le terrain et cela est bon pour réguler la tension artérielle, faire baisser le stress. Par ailleurs, au moins jusqu’à l’arrivée récente de personnes fuyant les grandes villes, il n’y avait pas du tout de virus (du moins en apparence, car on ne peut jamais être certains).

Mais il y a aussi une face sombre. Pour faire ses courses on est bien obligés d’aller à Buis les Baronnies, où fonctionnent deux supermarchés, où se tient un marché deux fois par semaine et où on peut acheter du carburant. Les autres magasins, sauf bien sûr la pharmacie et le tabac-presse sont fermés.

Là comme ailleurs, l’approvisionnement dépend de la continuité. Durant quelques jours, certains produits ont disparu assez vite des rayons comme la farine, le lait ou les pâtes… 

Il y a pire : que faire si on tombe malade ? C’est déjà assez galère quand les conditions sanitaires sont sans histoire. Mais maintenant ? Le premier hôpital est bien à une trentaine de kilomètres, voire davantage s’il y a besoin d’un plateau technique très spécialisé.

L’inquiétude est donc du même ordre dans la vallée qu’ailleurs ; on suit les informations à la radio et à la télévision, on prend des nouvelles des enfants et des parents qui habitent en ville. Si Internet fonctionne, on regarde ce qui s’échange sur les réseaux et on y participe.

Là comme ailleurs, l’étranger est parfois regardé de travers ; ce n’est pas propre au coronavirus, d’ailleurs, mais il est certain que la situation sanitaire a des effets négatifs.

La crise du coronavirus est venue après un hiver particulièrement pluvieux : le Derbous n’a pas manqué d’eau ; il a même débordé de son cours habituel et généré des dégâts sur les rives. Ces dégâts, sans rapport avec la pandémie, ont quand même déstabilisé une population vieillissante. 

En somme, ce n’est sans doute pas pire qu’ailleurs, mais rien de réjouissant. Maintenant, évidemment, il reste à espérer…